Interview de Diane,

chercheuse bénévole au service de Sea Shepherd France

Quand vous évoluez dans des milieux peu explorés, est-ce que vous vous attendez à découvrir une nouvelle espèce?

Oui, nous nous attendons en effet à découvrir potentiellement des espèces animales ou végétales pas encore connues de l’Homme. On dit souvent que l’on connait mieux la surface de la Lune que le fond de l’océan. Cette phrase est juste et très révélatrice puisqu’en effet, on ne connait que 5% des profondeurs des océans. Autrement dit, 95% des océans n’ont jamais été explorés. Nous pouvons donc affirmer que de nombreuses espèces marines nous sont encore inconnues dans l’écosystème le plus grand de la planète que représente l’océan.

Pour exemple, cinq nouvelles espèces de poissons-dragons ont été découvertes en novembre 2023 au Brésil. Une très grande découverte pour ces espèces faisant partie de l’ordre des Stomiiformes.

D’autres découvertes sont faites notamment par l’équipe de chercheurs d’Under the Pole par exemple, qui étudie les espèces de la zone mésophotique (zone moyennement profonde, entre la surface et le grand fond, où la lumière est faible), comme le corail noir, et chaque mission permet de mieux comprendre ces espèces mal connues. De nombreux moyens sont développés afin de mieux explorer les fonds marins et les technologies à ce sujet ne cessent de s’améliorer.

Mais si tu souhaites explorer toi-même l’océan depuis ton canapé, c’est tout à fait possible grâce à la plateforme de sciences participatives « Espions des océans » créée par l’Institut français de recherche pour l’exploration de la mer (IFREMER). En visionnant et analysant des images enregistrées par des engins sous-marins, tu participes aux recherches et aides les scientifiques à recenser toutes les espèces enregistrées. Tu pourras ainsi découvrir des images collectées pendant des centaines d’heures dans des écosystèmes différents, dans l’Atlantique et le Pacifique, de 6 mètres à 2200 mètres de profondeur. Deviens un espion des océans et aide les scientifiques à percer les mystères du monde marin !

Que faire si lors d’une exploration je pense voir une créature ou une plante qui nous est inconnue ?

Si lors d’une exploration tu penses avoir découvert une nouvelle espèce marine, tu peux la recenser sur le site de Doris. Doris c’est un site participatif qui met en ligne des fiches d’espèces marines animales ou végétales, dulcicoles ou marines, des eaux françaises et d’outre-mer. Ce sont beaucoup de fiches très complètes, avec des photos qui sont vérifiées régulièrement et avec rigueur. Elles sont réalisées intégralement par des bénévoles, amateurs et scientifiques dans le cadre de la fédération française de plongée (FFESSM) et de sa commission de biologie (CNEBS).

D’après vous, vaut-il mieux explorer et rechercher toutes les espèces inconnues pour les documenter ou accepter l’inconnu et éviter de plonger pour ne pas perturber les écosystèmes ?

L’intérêt de continuer à faire des recherches sur les espèces inconnues n’est pas seulement pour combler notre curiosité mais cela contribue à la compréhension de l’écosystème dans son ensemble.

Plus on connaît un écosystème, mieux on peut le défendre et le protéger.

L’extraction minière des fonds marins, qui concerne l’extraction de cobalt, nickel et manganèse notamment, en est un très bon exemple. L’extraction de ces minerais au fond des océans pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur les abysses et l’océan en général, selon de nombreuses études. Ces opérations faramineuses engendreraient une pollution sonore phénoménale, une remise en suspension des sédiments du sols marins qui créerait des nuages de sédiments qui pourraient mettre plusieurs années avant de se redéposer sur le fond… Les dégâts seraient colossaux et c’est toute la chaîne marine et le bon fonctionnement de l’écosystème marin qui se retrouveraient gravement impactés.

Dans cet exemple, les scientifiques alarment et démontrent les dangers de ce projet notamment en montrant les conséquences que cela aura sur les espèces marines des profondeurs et sur toute la chaîne alimentaire en général.

Ainsi, mieux connaître les espèces qu’abritent ces environnements hostiles, permet de mieux comprendre le fonctionnement de l’océan et de pouvoir le défendre face à ce genre de menace anthropique. Ou même, plus largement, de montrer les impacts du dérèglement climatique sur des espèces qu’on estimerait hors de danger, du fait qu’elles soient loin, voire très loin, de toute activité humaine.

Question vert-nigaud : huiles solaires, dévastation des rivages, pollution des plages…

Franchement, vous ne pensez pas qu’on devrait interdire le bord de mer aux vacanciers une fois pour toute ?

Personnellement je ne pense pas qu’on devrait interdire le bord de mer aux vacanciers. Même si les écosystèmes en général se portent bien mieux sans la présence de l’Homme (comme on a pu le voir durant la période COVID notamment) je pense qu’il est important que les vacanciers aient encore accès à ces milieux. Tout simplement parce que la fréquentation des bords de mer et du littoral permet de sensibiliser le grand public aux enjeux environnementaux et à la protection de ces écosystèmes. C’est très compliqué de demander à quelqu’un de protéger quelque chose qu’il ne connaît pas, car c’est quelque chose d’abstrait, loin de nous. Mais si on arrive à émerveiller les gens et leur faire comprendre la beauté et l’importance de ces écosystèmes, alors ils seront aptes à leur tour à les protéger et à sensibiliser leurs proches. Comme disait notre cher explorateur Jacques-Yves Cousteau : « On aime ce qui nous a émerveillés, et on protège ce que l’on aime. »

De plus, je pense que même en interdisant complètement l’accès au bord de mer aux vacanciers, les activités anthropiques toucheraient ces milieux d’une autre manière à long terme.

Le grand idéal serait de trouver le meilleur compromis entre la fréquentation des littoraux et un impact anthropique minime sur ces derniers. De même, la société actuelle nous éloigne de plus en plus du vivant et de la nature… je trouverais cela dommage d’accentuer ce phénomène. Faire en sorte que les vacanciers soient conscients et respectueux de leurs activités, serait une réelle victoire à long terme. De plus en plus d’actions pour sensibiliser le grand public ou pour protéger ces écosystèmes sont mises en place, comme des panneaux de sensibilisation sur le reculement des dunes, d’informations sur les espèces animales et végétales que l’on trouve sur la plage et lesquelles sont particulièrement vulnérables. Certaines réserves marines imposent l’usage de crèmes solaires minérales qui ont un impact moindre sur les espèces marines (attention à ne pas se faire avoir avec

des faux labels « ocean protect » ou autre, il faut bien vérifier la composition de la crème). Je pense que l’on peut mettre en place encore beaucoup de choses dans ce sens, pour protéger et sensibiliser, expliquer le pourquoi du comment, comprendre les impacts de nos actions, et faire que les vacanciers soient responsables et informés.

Tout est possible et on ne sauvera pas l’océan tout seul, mais si chacun fait sa part et le maximum qui soit à sa portée, alors une grande partie de la mission sera réussie. Et comme dirait Pierre Rabhi, « c’est en initiant les plus petites actions que l’on amorce les grands changement ».